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Journée de mobilisation pour une Europe sans prostitution : « On n’achète pas le consentement »

Le 22 mai 2023, isala a participé à une journée de mobilisation pour convaincre les eurodéputé.es d’adopter un rapport européen en faveur du modèle abolitionniste. Le média Les Grenades (RTBF) était présent à la manifestation devant le Parlement européen et aux événements organisés par les associations, parmi lesquels une table-ronde à laquelle notre directrice Mireia Crespo a participé. Voici l’article publié sur internet.

Le 22 mai dernier, une journée de mobilisation pour une Europe sans prostitution a eu lieu dans le Parlement européen, à l’initiative du Réseau européen des femmes migrantes et de ses associations partenaires. Des survivantes de la prostitution de 10 pays différents ont convergé à Bruxelles pour mener cette action et rencontrer différentes députées européennes sur ce sujet.

Cette action s’inscrit dans un certain contexte car deux textes importants pour les droits des femmes et des filles en Europe seront bientôt votés : d’un côté, la directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique et de l’autre, le rapport d’initiative sur la prostitution.

« Ce rapport n’a pas de vertu contraignante, mais il donne la vision de l’Union européenne sur la prostitution, il sera d’ailleurs voté en plénière », précise Alyssa Ahrabare, qui travaille au sein du Réseau européen des femmes migrantes. « Ce n’est pas un sujet facile, parce qu’il est complexe. Il y a en ce moment une lutte à l’intérieur du Parlement et nous voulons faire entendre les voix de celles qui ont subi cette pratique. »

Protéger les filles et les femmes

Le Réseau européen des femmes migrantes demande aux membres du Parlement européen « de saisir cette occasion historique pour protéger véritablement les femmes et les jeunes filles en Europe en adoptant des textes qui criminalisent effectivement le proxénétisme et l’exploitation de la prostitution d’autrui. » Les différentes associations présentes lors de cette action soulignent que le Parlement européen a déjà reconnu la prostitution comme une forme d’exploitation sexuelle dans une résolution du 26 février 2014.

En ce moment, alors que les député·es européen·nes travaillent sur un nouveau rapport d’initiative sur la prostitution, elles demandent le maintien de cette position antérieure dans les textes à venir.

L’association féministe rappelle 95% des victimes de la prostitution sont des femmes et des jeunes filles (âgées pour la plupart de 13 à 25 ans). « Pour nous, la lutte contre le proxénétisme est un vrai enjeu au niveau européen, car la plupart des femmes qui se retrouvent dans la prostitution sont des femmes migrantes, que l’on exploite dans nos pays », poursuit Alyssa Ahrabare. « La prostitution en elle-même est une violence patriarcale, mais elle se situe aussi à l’intersection du système colonial, raciste et de classe. Ce sont les femmes pauvres, celles qui fuient les guerres que les proxénètes vont cibler. Et ces femmes-là ont très peu droit à la parole, elles ne sont pas entendues. »

Selon l’experte, « la prostitution est également liée à la gestation pour autrui et à la pornographie, qui commercialisent les corps des femmes. Il y a aussi un lien avec la pédocriminalité et notamment l’inceste : quand on a subi des violences sexuelles à un jeune âge, on est plus à risque de se retrouver dans la prostitution. »

Parmi les associations qui soutiennent cette journée de mobilisation, la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution (Ciams) était d’ailleurs représentée par ses deux co-fondatrices : les activistes françaises Marie-Josèphe Devillers et Ana-Luana Stoicea-Deram. « Il y a effectivement un lien évident entre la gestion pour autrui et la prostitution : il faut des femmes dans les deux cas et il y a une marchandisation de leur corps. C’est donc lié à la traite des êtres humains. Il faut mieux protéger les femmes et aussi en dehors des frontières de l’Europe, là où les clients vont les chercher », expliquent-elles.

Le jour de l’action, un petit groupe de survivantes est entré dans le Parlement pour rencontrer des députées, parmi lesquelles Alice Bah Kuhn (du groupe Greens), Carina Ohlsson (du groupe S&D) et Abir Al-Sahlani (du groupe Renew Europe).

« La prostitution n’affecte pas seulement les femmes qui se prostituent, mais nous affecte tous, car c’est une école d’inégalité humaine. Pour les hommes, la prostitution des femmes est une école d’égolâtrie, d’arrogance et de refus de toute empathie, où leurs désirs priment », a notamment déclaré la députée Lina Galvez Muñoz (S&D) dans une vidéo qui a été projetée. « La légalisation de la prostitution n’a pas permis de protéger les femmes, les filles, les femmes pauvres et les femmes racisées », a quant à elle réagi Abir Al-Sahlani.

« Ce n’est pas une vie »

Pendant que la rencontre avait lieu à l’intérieur du Parlement, une dizaine de survivantes sont restées plusieurs heures devant l’institution pour alerter les passant·es. Nous y croisons Candida Alves. « Je tiens au mot ‘survivante’ pour me définir. J’ai été victime de la prostitution au Portugal. J’ai vécu dans la rue pendant des années, j’ai subi des violences physiques et sexuelles. Je parle aujourd’hui pour essayer de faire comprendre que la prostitution est une violation des droits humains et qu’on ne peut pas acheter le consentement. Vivre dans la prostitution, c’est horrible. Ce n’est pas une vie », s’insurge-t-elle.

A ses côtés se tient Alexine, qui vient de France. « Je suis présente car il est important de faire de la prévention et de la sensibilisation, surtout vers les jeunes filles. Il y a une image glamour qui entoure la prostitution, c’est tout à fait normalisé. J’ai commencé par regarder de la pornographie très jeune et puis je suis tombée dans la prostitution. Je suis restée coincée dedans pendant deux ans. J’en garde de très mauvais souvenirs. Il faut prévenir les parents et les jeunes filles : la prostitution n’est pas un travail comme un autre, ce n’est pas un projet d’avenir », explique-t-elle. « Presque toutes les survivantes de la prostitution que je rencontre sont des survivantes de l’inceste. C’est assez révélateur. »

Un manque de choix

Alexine poursuit : « On est passées devant les vitrines, qui sont tout près d’ici, ce ne sont pas des femmes belges qui s’y trouvent. La prostitution, ce n’est pas un choix, c’est causé par le manque de choix pour les femmes qui fuient les guerres ou le réchauffement climatique. Je demande au Parlement européen d’adopter un point de vue abolitionniste, d’adopter des lois qui ne laissent aucune femme derrière. On peut faire mieux pour les femmes ! »

Armée de son mégaphone, la directrice du Réseau européen des femmes migrantes, Anna Zobnina, nous explique : « Si c’était un travail comme un autre, il n’y aurait pas besoin d’un parcours de sortie de la prostitution. Il n’y a pas de parcours de sortie quand on est infirmière ou enseignante ! Est-ce que l’inspection du travail passe ? Avec quelles règles ? On ne peut pas ‘faire carrière’ dans la prostitution, la seule chose possible, c’est de devenir proxénète à votre tour et d’exploiter d’autres femmes, pour ne plus être exploitée vous-même. On veut que les femmes migrantes puissent travailler dans des secteurs professionnels de qualité. J’entends beaucoup de critiques nous concernant disant que nous sommes moralistes, que nous donnons des leçons de morale. Je ne vois pas en quoi ce serait un problème ? C’est la base de nombreuses autres lois. Il est aussi interdit de tuer et de violer, selon une conception morale de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas ! Cette position sur la prostitution est ostracisée car nous sommes dans une société qui est basée sur le contrôle du corps des femmes par les hommes. »

Pour les militantes et activistes présentes, ce moment est « historique ». C’était la toute première fois que des survivantes de la prostitution menaient une action devant le Parlement européen. L’action se poursuit via des vidéos d’expertes et de survivantes.