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Hilde Bartels : « Ce que j’ai vu dans la prostitution est indéfinissable »

Aurore Van Opstal a rencontré Hilde Bartels, qui retrace dans son livre « Si j’étais moi » son histoire et vécu dans la prostitution en Belgique.

A travers un livre bouleversant, « Si j’étais moi » aux Éditions Baudelaire, Hilde Bartels retrace son parcours d’ancienne prostituée, toxicomane et alcoolique dans la région de Charleroi. Nous l’avons rencontrée, dans sa maison, sereine, à Marchienne-au-Pont. Reconstruite, Hilde revient avec nous sur son parcours.

Comment s’est déroulée votre enfance en quelques mots ? Votre enfance était-elle heureuse ?

J’ai eu une enfance difficile mais je n’ai pas fait que pleurer, je recevais de l’amour d’un père dévoué mais absent. Néanmoins, il s’est battu comme un lion pour tenir notre famille debout, mettre à manger dans nos assiettes. Ma mère était une femme perdue, qui serais-je pour lui jeter la pierre ? Je peux dire que j’aime mes parents malgré les désillusions, malgré qu’ils ne m’ont pas tendu leur main quand j’en avais tellement besoin. Je les aime par amour, par pardon et par sagesse. Il est plus beau d’aimer que de haïr.

Comment êtes-vous rentrée dans la prostitution ? Problèmes d’argent ?

Je suis entrée dans la prostitution en août 2007. Alain (ancien compagnon de Hilde, ndlr) venait d’arriver chez moi. Il est venu avec cinq de ses enfants, le sixième viendra quelques temps après. Alain ne percevait rien a cette époque. Il me fit une suggestion, comme si cela était logique ; « Entre montrer ses fesses (Hilde faisait du strip tease à l’époque, ndrl) et les donner, il n’y a pas vraiment de différence ! Pourquoi tu ne chercherais pas un endroit sympa où vendre tes charmes ? ». Donc oui ; c’était par besoin d’argent.

Vous avez pratiqué le strip-tease. Le strip-tease amène-t-il forcément à la prostitution ?

Non, je ne pense pas du tout que l’un amène obligatoirement à l’autre. La prostitution, par exemple en tant que danseuse de nuit, ne m’était jamais venue à l’esprit. Pour moi, la prostitution, c’était la déchéance totale. Après ça, il n’y a plus rien à vendre : c’est la fin de l’esprit, du cœur, on est comme morte, anesthésiée.

Avez-vous consommé de la drogue avant ou pendant que vous étiez prostituée ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?

J’ai commencé à me droguer début décembre 2007. Énormément. Mais la prostitution n’était pas le déclencheur de ma consommation. J’explique tout cela en détails dans mon bouquin.

Vous évoquez dans votre livre un compagnon violent psychologiquement avec vous : Alain. Estimez-vous que c’est lui qui vous a poussée dans le système prostitutionnel ?

Alain a évidemment une grande responsabilité dans le fait que je me sois prostituée. En fait, j’étais enfermée dans ce cercle d’autodestruction qu’était la prostitution. D’où la grande complexité d’expliquer qui est responsable de la prostitution d’une femme : l’homme qui vous y pousse, votre maquerelle qui fait que vous y restiez sans vraiment vous battre, en attendant le drame, sa fin. Qui ?

Vous avez vécu beaucoup de drames dans votre existence (agressions, suicide du fils d’un compagnon, enfants placés, séquestration, …) Et vous évoquez dans votre livre des drames en pagaille dans la prostitution à Charleroi pour d’autres femmes. Qu’avez-vous vu ?

Ce que j’ai vu est indéfinissable. J’ai vu le pire de ce que l’humain est capable de faire à un autre être humain. J’ai vu le désespoir, la détresse. J’ai vu et senti la mort, j’ai vu les coups, les pleurs, j’ai vu un suicide, des tentatives de suicide, des femmes enceintes se prostituer pour de la drogue. J’ai senti que mes bras et mon cœur pouvaient encore servir à montrer que l’humain peut être bon alors j’ai aidé certaines d’entre elles. J’ai vu notre système rire au nez de ces femmes, me rire au nez lorsque l’on souffre. J’ai vu aussi des meurtres laissés sans enquête, des disparitions qui n’intéressent que sur papier. J’ai vu beaucoup de choses.

Que pensez-vous des associations qui viennent en aide aux prostituées à Charleroi ?

Ce sont des vitrines de bonnes actions mais le concret est inexistant. Une femme désespérée ne trouvera rien là-bas à part un téléphone et un café ! Dix ans que je côtoie ces asbl, on vend la prostitution pour un métier épanouissant, on crée même des syndicats, on fait des conférences mais la pauvre femme qui n’a plus dormi depuis des jours et meure de faim n’a droit qu’à une chaise : elle s’y endort le visage vide, je vois encore sa nuque qui tombe en arrière et moi qui la lui relève… C’est juste une mascarade à subsides !

Quelle est votre opinion sur la prostitution ? Êtes-vous abolitionniste, réglementariste, prohibitionniste ou sans avis ?

Je suis abolitionniste mais réaliste. J’ai conscience que l’abolition est une forme d’utopie. Seulement, c’est vers elle qu’il faut tendre car la prostitution est une réalité mortelle.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui alors que vous êtes sortie de la prostitution ?

Je suis sortie vivante mais pleine de blessures, pleine de balafres au cœur. Je n’oublie rien. Je suis remplie de chocs post-traumatiques. Néanmoins, je suis heureuse, une maman et une femme épanouie. Puis, j’ai à cœur d’aider celles qui pleurent encore chaque jour leur désespoir et quand une s’en sort, c’est une bataille gagnée. Même si la reconstruction est longue. Très longue.

Propos recueillis par Aurore Van Opstal

Photo de Susie Waroude

« Si j’étais moi », Hilde Bartels, éditions Baudelaire