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« La prostitution tue. Il est temps de comprendre pourquoi »

Une carte blanche d’isala, co-signée par une trentaine d’associations et publiée par le journal Le Soir le 14 juin 2018.

Eunice, une jeune femme nigériane, a été tuée dans la nuit du 4 juin dans le quartier des carrées de la commune de Schaerbeek où elle était prostituée. Ce n’est pas le premier meurtre d’une personne prostituée à Bruxelles cette année. Il y a à peine un mois, un « client » avait tué, de plus de cinquante coups de couteau, Laura, une jeune femme roumaine, à Etterbeek, au prétexte qu’il n’avait pas obtenu le remboursement qu’il avait exigé, car il estimait que la prestation avait été trop courte. La prostitution tue. Parce que la violence est inhérente à la prostitution.

Un taux de mortalité très alarmant

Regardons les chiffres dans d’autres pays. Déjà en 1985, un rapport canadien sur la prostitution et la pornographie concluait que les femmes prostituées avaient un taux de mortalité 40 fois plus élevé que la moyenne nationale. En Allemagne, où l’industrie du sexe a carte blanche, où les bordels sont légalisés et les proxénètes des « entrepreneurs », 57 meurtres ont été répertoriés depuis 2002, commis par des « clients » ou des personnes du milieu. Depuis janvier 2018, ce sont déjà 5 meurtres ou tentatives de meurtre qui ont été commis sur des personnes prostituées. En Espagne, la culture du « puticlub » (légalisée grâce au lobby des patrons de clubs) s’est accompagnée du meurtre de 31 femmes prostituées entre 2010 et 2015, 22 de la main des « clients ». Aux Pays-Bas, les chiffres indiquent environ 28 meurtres de personnes prostituées depuis la loi dépénalisant le proxénétisme. En France, avant l’adoption de la loi abolitionniste, une simple revue de presse nationale permettait d’établir qu’en moyenne, plus de trois personnes prostituées étaient assassinées chaque année. Pour la seule année 2014, les associations de terrain comptabilisaient a minima 8 meurtres de personnes prostituées ; à chaque fois que le meurtrier a été identifié, il s’agissait d’un « client » de la prostitution. Et tous ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte des actes de violence innombrables auxquelles les personnes prostituées doivent faire face.

Violences au quotidien

Les meurtres et les violences contre les personnes prostituées ne sont pas un dommage collatéral de l’activité ; ce sont au contraire les conséquences directes d’un système fondé sur la domination et l’exploitation sexuelle des femmes. L’objectif de l’industrie du sexe est de faire des bénéfices financiers (en Belgique, le chiffre d’affaires de la prostitution approche les 900 millions d’euros) en s’appuyant sur la domination masculine qui justifie l’existence de marchés du sexe pour satisfaire des soi-disant besoins sexuels masculins. En institutionnalisant la prostitution, la société donne feu vert aux hommes pour s’arroger le droit d’avoir accès aux corps des femmes, en échange d’argent. Quand on sait que la très grande majorité des personnes prostituées (au moins 80 % en Belgique selon la police) sont victimes de traite, qu’elles ont connu des violences et de la maltraitance dans l’enfance, qu’elles n’ont pas d’opportunité économique dans leur pays d’origine, et qu’elles sont souvent issues de minorités discriminées, comme le constate l’association de terrain isala, on comprend vite que la prostitution renforce un rapport de pouvoir entre celui qui achète et celle qui est achetée. Dans ce contexte, les violences et les tentatives de meurtre deviennent le quotidien des personnes prostituées. Elles sont considérées comme des marchandises dans une société de consommation : comme le dit un jeune homme à la frontière espagnole : « Elles ne parlent pas, tu peux les traiter comme de la merde, les attraper par les cheveux et tout et tout. »

L’exception suédoise

En comparaison des pays cités ci-dessus, la Suède ne compte aucun homicide de personnes prostituées sur son territoire depuis l’adoption de sa loi abolitionniste en 1999. Le seul cas (manipulé par les partisans de la dépénalisation du proxénétisme) est celui d’une jeune femme tuée par son ex-mari violent et qui avait été « escort » des années auparavant ; un cas (malheureusement) typique de violence conjugale masculine. La loi suédoise reconnaît que la normalisation de la prostitution ne peut qu’amener plus de violences pour les personnes en situation de prostitution ; c’est pourquoi elle vise à changer les mentalités pour que les personnes soient reconnues comme victimes et accompagnées dans leurs démarches si elles souhaitent sortir du milieu, au lieu de les voir comme des délinquantes. En criminalisant tous les acteurs qui profitent de la prostitution des plus vulnérables (les proxénètes, les trafiquants et les clients), la loi suédoise dénonce une industrie motivée par l’argent et qui perpétue des clichés sexistes sur une masculinité dominante pour justifier les violences contre les femmes. L’absence d’homicide dans la prostitution dans le pays, depuis 19 ans, montre bien que l’abolition de la prostitution, au travers d’un changement de mentalité et de masculinité, est positive pour les personnes en situation de prostitution, comme pour toute la société. Il faut noter également que les mesures de ce que l’on appelle maintenant le modèle nordique en matière de prostitution faisaient partie intégrante d’une loi holistique contre les violences contre les femmes, appelée « la paix des femmes ». La Suède avait bien compris que la normalisation de la prostitution contribue à la banalisation des violences masculines, en justifiant l’accès des hommes au corps des femmes, en dehors de tout consentement et de désir réciproque.

L’abolition est possible. Maintenant !

La prostitution tue parce qu’elle est intrinsèquement un système de violence et qu’elle s’inscrit dans le continuum des violences masculines. C’est l’abolition de ce système qu’il faut viser si l’on veut mettre fin aux violences contre les personnes prostituées. En tolérant et en banalisant l’exploitation de la prostitution d’autrui (Villa Tinto à Anvers, rue d’Aerschot et carrées à Bruxelles, bordels en Wallonie…), la Belgique crée les conditions pour que cette violence continue. Il est temps de viser l’abolition du système prostitutionnel en adoptant enfin une politique ambitieuse et cohérente au niveau fédéral : ne plus pénaliser les personnes prostituées, y compris étrangères, mais leur offrir protection et assistance ; mettre en place de réels parcours de sortie de la prostitution ; pénaliser l’ensemble des acteurs qui alimentent les marchés du sexe et la traite, à savoir les proxénètes, les propriétaires de bordels et vitrines, les trafiquants et les « clients ». L’abolition est possible maintenant, elle demande simplement du courage politique et une volonté claire de réaliser l’égalité femmes-hommes.

Signataires: isala asbl ; L’ilôt asbl ; Oasis Belgium vwz ; Collectif Femmes Survivantes ; La Voix des femmes ; GAMS Belgique ; Vrouwenraad ; Conseil des Femmes Francophones de Belgique (CFFB) ; Section du CFFB de Charleroi Thuin ; Femmes Prévoyantes Socialistes (FPS) ; FPS Liège ; FPS de Charleroi ; Zéromacho Belgique ; JUMP ; Maison de la Famille asbl ; AWSA-Be ; Le Monde selon les femmes asbl ; Université des Femmes ; Femmes et Santé ; Elles Tournent ; Lobby européen des femmes ; Asbl Mouvement pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes ; Centre Femmes/Hommes-Verviers ; MujeresMundi ; Maison de la Laïcité de Liège ; Collectif des femmes de Louvain-la-Neuve ; Asbl Solidarité femmes et refuge pour femmes victimes de violences, La Louvière ; Synergie Wallonie pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes asbl ; Asbl Caravane pour la Paix et la Solidarité ; Fondation Anne-Marie Lizin ; Corps écrits ; CFEP ; CAP International.